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Utilitarisme et justice pénale
14 mai 2006

Critique de "Surveiller et Punir", de Michel Foucault

Surveiller et punir, de Michel Foucault, a contribué à dégrader l’image de l’utilitarisme en général, et celle de l’utilitarisme pénal en particulier. A tort.

Ce livre réduit l’utilitarisme à une idéologie du contrôle social, dont le paradigme serait le « panoptique » de Jeremy Bentham (il s'agit d'une prison dans laquelle le gardien devait pouvoir observer les moindres faits et gestes des prisonniers sans être vu).
Or non seulement l’utilitarisme n’est évidemment pas réductible au « panoptique » benthamien, mais l’interprétation que donne Foucault de ce projet est faussée sur plusieurs points :
- On peut parfaitement juger que la prison panoptique est liberticide. Mais il faut rappeler que, pour un prisonnier du début du 19ème siècle, il était nettement plus enviable d’être détenu dans ce type de prison que dans les cachots humides qui prévalaient à cette époque.
- Par ailleurs, Foucault oublie de dire qu’un des objectifs fondamentaux du panoptique était de faire en sorte que les gardiens puissent être surveillés par la population, de manière à ce qu’ils ne puissent abuser de leur pouvoir sur les détenus.
- Enfin, contrairement à ce que prétend Foucault, Bentham n’a jamais eu pour objectif d’appliquer le principe du panoptique à la société toute entière. Il voulait effectivement rendre l’administration et les institutions publiques parfaitement transparentes, afin que les citoyens vérifient que les autorités n’abusent pas de leur pouvoir. Mais la transparence s'arrête là ; s’agissant des citoyens, il souhaitait au contraire protéger leur vie privée contre toute intrusion extérieure.

Foucault critique de surcroît l’utilitarisme pénal de Beccaria, au motif que sa philosophie serait davantage guidée par la volonté d’aggraver le contrôle social que par le souci d’humaniser les peines.
Ainsi, plutôt que de se féliciter que les supplices atroces de l’Ancien régime soient progressivement remplacés par des peines plus humaines, Foucault souligne que cette « rationalisation » de la sanction pénale conduit à un approfondissement du pouvoir de l’Etat sur les individus : « Ce qui se dessine, c’est sans doute moins un respect nouveau pour l’humanité des condamnés qu’une tendance vers une justice plus déliée et plus fine, vers un quadrillage pénal plus serré du corps social ».
Or si l’intention des réformateurs était effectivement de « punir mieux », de rationaliser les sanctions et de calculer avec soin leurs effets, l’objectif ultime – et l’effet réel que ces réformes ont produit – était de diminuer la souffrance des citoyens (en cherchant à réduire le nombre de crimes et délits tout en punissant moins sévèrement). On comprend mal, dès lors, pourquoi vouloir réformer des pratiques qui infligent des souffrances inutiles ne pourrait pas être signe « d’humanité ».

Sur le plan épistémologique, Foucault a une fâcheuse tendance à verser dans une forme d’anthropomorphisme (ce que je décris dans mon livre comme du fonctionnalisme). Il personnalise les concepts de « pouvoir » et de « discipline », au point de les présenter comme des systèmes qui règlent avec précision l’ensemble des institutions d’une société et dont l’objectif est de s’étendre et de s’appliquer avec plus d’efficacité.
Or s’il est indéniable que du pouvoir s’exerce sur les individus par la discipline imposée dans la prison, la caserne ou l’hôpital, il paraît curieux de prétendre qu’il existe un système de pouvoir cohérent (la « discipline ») qui serait la cause (et non pas seulement l’effet) de l’existence et du fonctionnement des institutions pénitentiaires, militaires, hospitalières, etc.

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Commentaires
I
Bonjour<br /> Je lis votre commentaire du bouquin de Foucault et je me sens obligé de faire quelques remarques.<br /> <br /> Tout d'abord, le projet de Foucault n'est pas de restituer l'intention derrière un mouvement : c'est son nominalisme et sa perspective de recherche, qui est philosophique plutôt qu'historique.<br /> <br /> Ce qu'entend par là Foucault, ce n'est ni la discipline ni le pouvoir tel qu'on peut le concevoir au sens large.<br /> <br /> Le panoptisme est décrit comme une allégorie d'un nouveau paradigme du pouvoir, le paradigme disciplinaire. Foucault ne dit jamais que le panoptique est un modèle fonctionnel du pouvoir : ce qu'il dit, et qui a en fait bien peu à voir avec l'intention de Bentham (au demeurant, il le reconnaîtrait), c'est que les mécanismes disciplinaires qui consistent en intériorisation du pouvoir sont venus au XVIIIè-XIXè siècle (intériorisation schématisée par le concept d'âme).<br /> <br /> A partir du moment où Foucault élude toute causalité individuelle, Bentham n'est pas responsable du caractère allégorique du panoptique. L'utilitarisme n'est pas responsable du contrôle disciplinaire. Les stratégies sont anonymes. Du point de vue stratégique, le pouvoir carcéral moderne, mettant en rapport d'autres intensités et d'autres affects, n'a aucune signification en termes d'humanité : il reconfigure l'usage du pouvoir et l'intériorise. Ce qui compte, ce ne sont pas les valeurs, mais la discontinuité radicale, le changement de paradigme. En effet, en cherchant l'impact stratégique de la reconfiguration, on peut bien dire que ce qui compte, c'est le nouveau quadrillage.
V
n'avez vous pas le sentiment que hormis les cas des crimes irreparable.<br /> Il faudrait plutot valoriser l'idée de "reparation" justement à travers les travaux d'interet generaux,l'amende ou d'autre methode.<br /> <br /> Si le systeme penale etait dissuasif,les prisons ne devrait elle pas se depeupler?
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