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Utilitarisme et justice pénale
30 avril 2006

Petite présentation de l'utilitarisme pénal

« La peine, moyen vil en lui-même, qui répugne à tous les sentiments généreux, est élevée au premier rang des bienfaits quand on la considère non pas comme un acte de colère ou de vengeance contre un coupable ou un individu infortuné qui s’est laissé entraîné par de mauvaises inclinations, mais comme un sacrifice indispensable au salut commun ».

Cette phrase, prêtée à Jeremy Bentham par Etienne Dumont dans sa traduction de la Théorie des peines et des récompenses, résume bien l’utilitarisme pénal.

La peine, en soi, est un mal, car elle consiste à infliger une souffrance. Or comme on ne peut pas revenir sur ce qui a été fait (sur le crime commis), il serait insensé d’ajouter un mal (la peine) à un autre mal (le crime), si cela n'entraînait aucune conséquence positive.

Autrement dit, la peine ne peut se justifier que si les bienfaits qu’elle apporte surpassent la souffrance qu’elle cause.

Les bienfaits se résument essentiellement à sa capacité à prévenir des crimes et délits dans le futur, à travers plusieurs canaux :
- la dissuasion générale (savoir que l’on risque d’être puni peut réduire la tentation pour chacun de commettre des infractions )
- la dissuasion spéciale (avoir été condamné peut réduire la tentation de récidiver, afin de ne pas subir une peine à nouveau)
- la neutralisation (les détenus, pendant toute la durée de leur incarcération, ne peuvent commettre aucune infraction)
- la réhabilitation : (certains traitements peuvent diminuer la récidive)

On peut également citer d’autres bienfaits potentiels de la peine :
- la restauration de l’estime de soi de la victime à travers le procès pénal
- la prévention des actes de vengeance individuels

Tous ces effets sont plausibles, mais seules des enquêtes empiriques peuvent déterminer s’ils existent, et dans quelle mesure.

Par conséquent, pour déterminer si les bienfaits de la peine sont supérieurs à son coût (en termes de souffrance humaine), il faut nécessairement s’appuyer sur des études empiriques, notamment pour savoir si la peine dissuade ou réhabilite efficacement. C’est l’objet de la troisième partie de mon livre.

Voici les principales critiques qui sont généralement adressées à l’utilitarisme pénal :

1. L’utilitarisme se désintéresse totalement de la « valeur morale » des individus. Or certaines personnes (des assassins d’enfants, par exemple) « mériteraient » d’être punis, et devraient l’être, quels qu’en soient les conséquences sur le bien-être collectif. Inversement, certains individus (atteints par exemple d’une folie temporaire), du fait de leur irresponsabilité morale, ne devraient pas pouvoir être condamnés, même si c'était conforme à l’utilité publique.

2. L’utilitarisme ne garantit pas un respect absolu des droits fondamentaux de l’individu. Comme l’utilitarisme ne s’occupe que de maximisation du bien-être, il pourrait y avoir des cas où un tel objectif conduirait à recommander de violer des droits individuels. Les deux exemples les plus souvent avancés sont la condamnation d'innocents et l'imposition de peines disproportionnées. 

3. L’utilitarisme serait inapplicable, parce que le bien-être serait quelque chose d’essentiellement subjectif, et qu’on ne pourrait comparer le bien-être d’individus différents. L’utilitarisme ne serait donc d’aucune utilité pratique pour conduire une politique pénale.

Je réponds à la première critique aux chapitres 1, 4 et 5, à la deuxième aux chapitres 2, 3, 5 et 6, et à la troisième dans les 4 derniers chapitres.

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Commentaires
X
Je ne suis pas d’accord avec vous. Prenons un exemple. Vous m’accorderez probablement que pour tout parent, apprendre que son fils de 5 ans a été violé et tué est une source de souffrance insupportable. Vous m’accorderez également que pour toute personne, passer sa vie en prison est également source d’une grande souffrance. <br /> Vous serez probablement d’accord avec moi pour dire que la souffrance infligée à un individu que l’on emprisonne à vie est inférieure à ce que subissent l’enfant tué et ses parents. Par conséquent, si l’on suppose qu’une peine de prison à perpétuité pour l’assassin permettra de prévenir un autre assassinat d’enfant dans le futur (de la part de celui qu’on emprisonne ou de tout tueur potentiel intimidé par cet exemple), un utilitariste sera d’accord pour infliger cette peine. <br /> Vous avez raison de dire que le bien-être des individus peut être causé par des choses très différentes. Mais il y a des invariants, et ceux-là suffisent largement à conduire une politique pénale : personne n’est heureux de subir un crime ou un délit, et personne n’est heureux d’aller en prison.
E
Je suis d'accord que l'utilitarisme n'est d'aucune utilité pour conduire une politique pénale. Chaque individu choisi ce qui lui apporte le bien être, et chacun choisi différemment.
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