Critique de "Surveiller et Punir", de Michel Foucault
Surveiller et punir, de Michel Foucault, a contribué à dégrader l’image de l’utilitarisme en général, et celle de l’utilitarisme pénal en particulier. A tort.
Ce livre réduit l’utilitarisme à une idéologie du contrôle social, dont le paradigme serait le « panoptique » de Jeremy Bentham (il s'agit d'une prison dans laquelle le gardien devait pouvoir observer les moindres faits et gestes des prisonniers sans être vu).
Or non seulement l’utilitarisme n’est évidemment pas réductible au « panoptique » benthamien, mais l’interprétation que donne Foucault de ce projet est faussée sur plusieurs points :
- On peut parfaitement juger que la prison panoptique est liberticide. Mais il faut rappeler que, pour un prisonnier du début du 19ème siècle, il était nettement plus enviable d’être détenu dans ce type de prison que dans les cachots humides qui prévalaient à cette époque.
- Par ailleurs, Foucault oublie de dire qu’un des objectifs fondamentaux du panoptique était de faire en sorte que les gardiens puissent être surveillés par la population, de manière à ce qu’ils ne puissent abuser de leur pouvoir sur les détenus.
- Enfin, contrairement à ce que prétend Foucault, Bentham n’a jamais eu pour objectif d’appliquer le principe du panoptique à la société toute entière. Il voulait effectivement rendre l’administration et les institutions publiques parfaitement transparentes, afin que les citoyens vérifient que les autorités n’abusent pas de leur pouvoir. Mais la transparence s'arrête là ; s’agissant des citoyens, il souhaitait au contraire protéger leur vie privée contre toute intrusion extérieure.
Foucault critique de surcroît l’utilitarisme pénal de Beccaria, au motif que sa philosophie serait davantage guidée par la volonté d’aggraver le contrôle social que par le souci d’humaniser les peines.
Ainsi, plutôt que de se féliciter que les supplices atroces de l’Ancien régime soient progressivement remplacés par des peines plus humaines, Foucault souligne que cette « rationalisation » de la sanction pénale conduit à un approfondissement du pouvoir de l’Etat sur les individus : « Ce qui se dessine, c’est sans doute moins un respect nouveau pour l’humanité des condamnés qu’une tendance vers une justice plus déliée et plus fine, vers un quadrillage pénal plus serré du corps social ».
Or si l’intention des réformateurs était effectivement de « punir mieux », de rationaliser les sanctions et de calculer avec soin leurs effets, l’objectif ultime – et l’effet réel que ces réformes ont produit – était de diminuer la souffrance des citoyens (en cherchant à réduire le nombre de crimes et délits tout en punissant moins sévèrement). On comprend mal, dès lors, pourquoi vouloir réformer des pratiques qui infligent des souffrances inutiles ne pourrait pas être signe « d’humanité ».
Sur le plan épistémologique, Foucault a une fâcheuse tendance à verser dans une forme d’anthropomorphisme (ce que je décris dans mon livre comme du fonctionnalisme). Il personnalise les concepts de « pouvoir » et de « discipline », au point de les présenter comme des systèmes qui règlent avec précision l’ensemble des institutions d’une société et dont l’objectif est de s’étendre et de s’appliquer avec plus d’efficacité.
Or s’il est indéniable que du pouvoir s’exerce sur les individus par la discipline imposée dans la prison, la caserne ou l’hôpital, il paraît curieux de prétendre qu’il existe un système de pouvoir cohérent (la « discipline ») qui serait la cause (et non pas seulement l’effet) de l’existence et du fonctionnement des institutions pénitentiaires, militaires, hospitalières, etc.